Dans son arrêt dans l’affaire C-531/23 [Loredas], la Cour de justice des Communautés européennes a jugé qu’une législation nationale qui n’impose pas aux employeurs l’obligation de mettre en place un système de mesure de la durée du temps de travail journalier est contraire au droit communautaire.
Le cas d’espèce : C-531-23
Après avoir été licenciée, une employée de maison espagnole a intenté une action en justice contre ses anciens employeurs, contestant son licenciement et réclamant le paiement des jours de vacances non utilisés et des heures supplémentaires. En première instance, le juge n’a reconnu que partiellement ses revendications, estimant que l’employée n’avait pas fourni de preuves suffisantes des heures de travail réellement effectuées. En effet, la législation espagnole exempte les employeurs domestiques de l’obligation d’enregistrer les heures de travail de leurs employés.
En appel, la juridiction espagnole a émis des doutes quant à la compatibilité de cette exemption avec le droit communautaire, en particulier avec la directive 2003/88/CE sur l’aménagement du temps de travail.
Le cadre juridique de l’enregistrement des heures de travail
Droit communautaire : Directive 2003/88
La directive 2003/88/CE fixe des normes minimales de santé et de sécurité pour l’aménagement du temps de travail. Elle définit le temps de travail comme le temps pendant lequel un travailleur est à la disposition de l’employeur et réglemente les périodes de repos obligatoires :
- au moins 11 heures consécutives par jour et
- 24 heures par semaine, plus un repos quotidien.
La directive limite également la durée moyenne hebdomadaire de travail à 48 heures, y compris les heures supplémentaires (article 6).
Les États peuvent exempter les travailleurs de la durée maximale hebdomadaire de travail, à condition qu’ils y consentent et qu’ils ne soient pas lésés.
Droit espagnol : Estatuto de los Trabajadores (Statut des travailleurs)
Le statut des travailleurs espagnols, tel que modifié par le décret-loi royal 8/2019, impose aux entreprises l’obligation d’enregistrer quotidiennement le temps de travail, en indiquant l’heure exacte de début et de fin de la journée de travail. Cet enregistrement doit être organisé par une négociation collective ou un accord d’entreprise et doit être conservé pendant quatre ans, en restant accessible aux travailleurs, aux représentants syndicaux et à l’inspection du travail.
L’article 35 prévoit l’enregistrement des heures de travail jour par jour pour le calcul des heures supplémentaires.
Le décret royal 1620/2011, qui régit le travail domestique, établit une durée hebdomadaire maximale de 40 heures de travail effectif, les heures de présence étant convenues entre les parties. Les heures de présence ne doivent pas dépasser une moyenne de 20 heures par semaine et par mois, à moins qu’elles ne soient compensées par un repos rémunéré. Les travailleurs domestiques ne sont pas soumis aux obligations d’enregistrement du temps de travail des travailleurs à temps partiel.
L’arrêt de la Cour Européenne de Justice
Dans cette affaire, la Cour de justice de l’UE devait déterminer si la législation espagnole, qui exempte les employeurs nationaux de l’obligation d’enregistrer le temps de travail, était incompatible avec le droit communautaire.
La directive 2003/88 fixe des prescriptions minimales pour la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs en imposant des limites au temps de travail et en garantissant des périodes de repos. Les États membres doivent garantir l’efficacité de ces règles en prenant des mesures appropriées pour contrôler le temps de travail. L’absence de système d’enregistrement rend difficile pour les travailleurs de faire valoir leurs droits, ce qui les expose à des risques d’exploitation.
La Cour a déjà jugé qu’une législation qui n’oblige pas les employeurs à enregistrer le temps de travail est contraire au droit communautaire. Les tribunaux nationaux doivent interpréter le droit national d’une manière compatible avec la directive, en modifiant toute jurisprudence antérieure incompatible avec le droit communautaire.
La décision de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Loredas réaffirme l’obligation pour les employeurs de mettre en place des systèmes d’enregistrement précis du temps de travail, en étendant cette obligation au secteur du travail domestique. La Cour vise ainsi à garantir que tous les travailleurs, quel que soit leur contexte de travail, puissent effectivement exercer leurs droits aux périodes de repos et à la limitation du temps de travail, promouvant ainsi de meilleures conditions de travail et protégeant la santé et la sécurité au travail.